Leandro Carreira par Andrea Petrini
Par À la Piscine, il y a 2 années

Nom : Carreira
Prénom : Leandro
Âge : 38 ans
Profession : cuisinier fédérateur de la diaspora portugaise.
Où : à partir de novembre au Londrino, à Londres, à quelques encablures de London Bridge mais en avant-première mondiale à Lyon, À la Piscine les 13 et 14 octobre 2017.
Pourquoi lui : parce que depuis dix ans Leandro a été de toutes les aventures marquantes de la diaspora portugaise sur les traces de la modernité bistrotière et au-delà.

Ce qui frappe chez Leandro (au téléphone, en tête-à-tête, en fin d’after-party) c’est sa voix. Chaude, veloutée, avec un rien du crooner guttural se gargarisant avec une double dose d’ironie. Bientôt quadra, à l’âge de la maturité, il aurait pu livrer le premier tome de son autobiographie. Racontant à la manière du prix Nobel V. S. Naipaul dans « L’Énigme de l’arrivée » (1987) les splendeurs et déchéances d’un cuisinier qui aura passé toute sa jeunesse à courir après son rêve de liberté.

« Je suis né à Leiria, une petite ville dans le centre du Portugal, le tablier de cuisinier a été mon uniforme, mon passeport, le visa pour me barrer. À Dubai en baptême de l’air pendant trois ans au Park Hyatt, ce fut l’enfer, mais aussi la première occasion pour m’ouvrir au monde, rencontrant d’autres exilés rêvant exactement comme moi d’ailleurs. » Du port de mer de Kinsale, dans le West Cork irlandais, au retour temporaire au pays natal pour l’ouverture d’un hôtel, aventure qui tourna court mais le propulsant par ricochet dans la grisaille helvétique (« brrr…. trop froid, trop contrôlé pour moi »), Leandro dut vite commencer à interroger son identité d’heureux cosmopolite déraciné. Démarrant une prolifique collaboration avec les têtes brûlées du modernisme poétique, du Basque Luis Andoni Aduriz (Mugaritz), rien que ça juste pour démarrer, jusqu’à la longue, prolifique complicité avec Nuno Mendes dont il fut à Londres le second chez Viajante (Voyageur Errant en portuguèche). La suite : un enchaînement incessant de collaborations en première ligne sur le front londonien des projets dans l’air du temps, de Koya, resto de poche de nouilles udon façon auberge urbaine du troisième millénaire, à Lyle’s, bistrot entre épure nordique et giboyeuses radicalités britanniques de son ami James Lowe.

Question à cinq balles : mais pourquoi Leandro a-t-il choisi seulement maintenant de passer enfin à l’acte ? « Sincèrement, je ne pensais vraiment pas me lancer un jour dans un restaurant portant mon nom. Mais l’opportunité s’est présentée et, avec elle, l’occasion de me jeter à l’eau pour me prouver que, après toutes ces années d’obéissance gastronomique, le moment était venu de tirer un bilan des premières décennies de ma vie. Imaginant un restaurant vivant, accessible, abordable, recensant le meilleur de mes deux mondes, l’Angleterre où j’ai fait depuis plus de dix ans mon nid, et le Portugal, mère nourricière mais à condition de savoir s’en détacher, une distance nécessaire pour ne pas céder aux sirènes de la nostalgie. »

Autant dire que chez Londrino il sera question de racines remixées. D’une cuisine redux et final cut : « Londrino, néologisme popu, est une expression affectueuse, très chère à ma mère, désignant les Portugais émigrés à Londres qui, au bout de quelque temps, auraient tendance à oublier d’où ils viennent pour se croire devenus des citoyens britanniques à part entière. Tout le contraire de mon restaurant. Où je préconise d’utiliser les meilleurs produits des fermes et des campagnes britanniques, le gibier de terre et les poissons de la mer, le tout dans une optique sustainable et bio sans rien importer du Portugal. Il y a aura des clins d’œil aux saveurs portugaises, aux techniques traditionnelles de mon enfance, à certains plats très reconnaissables de mon pays d’origine mais en utilisant uniquement des produits britanniques. Un fil linguistiquement très tendu. Pour produire un écart entre le présent et le passé, pour réactiver la mémoire mais sans nostalgie, en s’appuyant sur l’urgence du présent. »

Londrino : un combat-restaurant (dans le sens du Combat Rock des Clash) ouvert à tous, faisant la nique à la dictature du Menu Unique (« il était temps de sceller le retour à la carte, à la démocratie participative du libre choix »), dans le jus énergique d’un bistro évolutif mais avec l’exigence d’un gastro, l’insouciance et la double prise de risque en bonus. « Je vais prendre mes distances du fine dining mais aussi des attentes de tous ceux qui voudraient juste me faire cuisiner portugais et aimeraient me ligoter, me rattacher à un passé révolu, presque communautaire. »Leandro dans son Londrino, un Cosmopolite Deraciné - toujours Insoumis.

13 & 14 octobre 2017 : Leandro Carreira À la Piscine
23 novembre 2017 : Ouverture de Londrino, 36 Snowfields Yard (off Bermondsey Street), London Bridge, London

Andrea Petrini